Dans les
processus de paix, il y a 4 expressions qui s’enchainent de manière graduelle :
Déposition des armes, Justice, Réconciliation et Paix. Le processus colombien
vient tout bonnement de chuter dans le second en disant Non dans le plébiscite
devant confirmer l’accord signé par le gouvernement avec les FARC.
Dimanche 2/10/2016
La Colombie, terre de rêves et
d’enchantement enclavée sur la pointe Nord de l’Amérique du Sud. Son extension,
ses montagnes, ses immenses plantations de café et de coca servent de toile de
fond pour une riche culture, produite du mélange de divers tributs indigènes, d’européens et d’africains.
Terre martyre par son histoire récente de kidnappings, d’assassinats, de
tortures et de bombardements ; terre qui a bercé l’indépendance de plusieurs
nations américaines dans l’imaginaire de Simon Bolivar ; terre peuplée par
47,12 millions d’hommes et de femmes rêveurs et combattants, femmes qui par
leur beauté, éblouissent les tapis rouges des passerelles du Nord
Il y a 4 ans de cela, cette
parcelle de terre s’est osée aller au-delà du rêve, au-delà du chimérique pour
rendre possible la fin d’une guerre qui lui a laissée anémie à force de saignements
pendant plus d’un demi-siècle. Pendant les présidentielles de 2010, la sécurité
citoyenne a été le leitmotiv de la campagne. Juan Manuel Santos a investi son
avenir politique dans ce qui pourrait être la couronne de gloire de son
gouvernement : l’approbation populaire de l’accord signé avec les Forces Armées
Révolutionnaires Colombiennes (FARC) pour mettre fin à la guerre. Guerre qui a
causé 8.190.451 victimes selon le Registre Unique des Victimes (RUV). Plus de
8 millions de victimes ! Soit aux environs 3 fois de la population jamaïcaines,
72% de la population cubaine, 79% de la population haïtienne ou plus ou moins
de la dominicaine, ce n’est pas peu.
Juan Manuel Santos et Timoleon Jimenez allias Timochenko |
Fortement supporté par les
Etats-Unis par le biais du «Plan Colombia», conçu par le gouvernement de Mr.
Andrés Pastrana en 1998, l’ancien Ministre de Défense du Président Alvaro Uribe,
devenu Président de la République lui-même en 2010, n’a pas caché son souci
pour tirer le maximum de profit possible de ce Plan Marshall à la colombienne
pour la paix dans le pays. Depuis son passage au Ministère de la Défense en
2009, Mr. Santos était clair sur sa stratégie : provoquer de grandes pertes tant
humaines que matérielles dans le camp des Forces Armées Révolutionnaires
Colombiennes (FARC), pertes qui devraient causer des pressions psychologiques
au niveau du groupe paramilitaire à tel point de les forcer à jeter les armes. Depuis,
d’importantes pertes ont été enregistrées. Les bombardements ont fini par avoir
raison des guerrilleros en mettant en
évidence leur vulnérabilité accrue et pour ce, l’inutilité de poursuivre cette
guerre perdue. Le Président a continué les stratégies du Ministre parallèlement
à une main de dialogue tendue au groupe pour déterminer la réinsertion sociale
de ses membres.
Après 4 ans de dialogue sous
l’égide du Président cubain, Raul Castro, finalement le groupe paramilitaire et
le gouvernement colombien ont parvenu à un accord servant à poser les pierres
pour la construction d’une nouvelle ère en Colombie ; ère souhaitée par
plus d’un tant à l’intérieur qu’ailleurs, ère qui aura ses répercussions dans
le reste des pays du sous-continent en particulier et de la région en général.
De la région, faut-il insister, car Haïti c’est l’un des pays dans lequel ces
effets ne devront pas tarder pour se faire sentir.
Le 26 septembre dernier, la terre
de Manuela Beltrán, héroïne de la guerre de l’indépendance colombienne, célébrait
la naissance d’un enfant né de la Colombie sans guerre après plus de 50 ans. Mais
attention ! La fin d’une guerre ne doit pas se confondre avec la paix. La
transition peut facilement se consacrer comme le nouveau style de vie.
Rappelons qu’en Haïti, notre transition vers la démocratie commence depuis
1987. En 2016, nous ne sommes pas, jusqu’à présent ni un pays démocratique ni
non plus autoritaire ; tout simplement un pays en transit. Rappelons-nous
également qu’au retour de Jean-Bertrand Aristide en 1994, nous avons raté une occasion de réconciliation
nationale pouvant acheminer le pays vers la paix et le développement stables. Une
erreur stratégique peut dérailler le train à la fin même de son parcours. En
conséquence, nous voilà encore cherchant à tâtons un nouveau capitaine pour reconduire
notre bateau en terre ferme. Nous sommes un pays en transit d’une guerre
interne vers la paix.
Transition, avait-on dit : faire
justice et réconcilier pour rendre possible la paix stable et durable ? A
quel degré doit-on situer la justice dans ce processus ? La réponse à
cette question constitue la tourmente de plus d’un des professionnels de la
conflictologie. En 1994 en Haïti, nous avions placé la justice à un niveau
tellement supérieur que la réconciliation est devenue impossible. Nous avons fait
mal et nous continuons encore à subir les conséquences. L’envers de ce
raisonnement est également vrai et c’est là que réside la fragilité des
processus de paix, la vulnérabilité du processus colombien : la transition.
Tout comme en Haïti en 1987 à la
chute du régime des Duvalier et 1994 au retour d’Aristide, comme dans tous les
processus de ce genre, les victimes et leurs parents jouent un rôle
irremplaçable. Céder dans leur réclame de justice, à premier vue, donne
l’impression de vouloir être victimes deux fois. Mais à un regard plus profond,
leur choix c’est d’empêcher de nouvelles victimes, de prévenir aux autres de
souffrir ce qu’ils ont souffert. Ce geste qui implique un dépassement de soi,
il faut le reconnaitre, n’est pas
toujours disponible chez tous ; surtout quand les rancœurs font partie de
la culture comme chez-nous en Haïti.
Dans les processus de paix, il y
a 4 expressions qui s’enchainent de manière graduelle : Déposition des
armes, Justice, Réconciliation et Paix. Le processus colombien vient tout
bonnement de chuter dans le second en disant Non dans le plébiscite devant
confirmer l’accord signé par le gouvernement avec les FARC. D’un côté, il y a les
victimes et leurs parents qui auraient voulu un peu plus de justice ; de l’autre côté, les
bourreaux qui souhaitent un peu moins de peine et entre temps, la transition se
prolonge sans guerre sans paix.
Serait-il trop de demander aux
parents des victimes de céder un peu dans leur soif de justice, au profit de la
réconciliation? Serait-il trop risqué de demander aux bourreaux (on les trouve
dans les deux camps en Colombie) de répondre dans la même lignée, pour leurs
crimes? En Colombie, les gens viennent de demander une renégociation de l’accord.
Cela veut dire, plus de justice pour les victimes et leurs parents. Cette
victoire du Non nous rappelle non pas sans frissonnements les mots du chef de
négociation des FARC en 1991 en Tlaxcala au Mexique, dans un effort antérieur
avec le gouvernent pour finir avec la guerre. Quand le dialogue s’est
interrompu, il a dit à ses contreparties du gouvernement colombien : « On
se voit après 5000 morts ». Face à ce souvenir désagréable, souhaitons la
renégociation comme la population le demande, souhaitons surtout la fermeté dans
la décision du groupe paramilitaire pour ne pas retourner vers les armes.